Je suis un insecte qui appartient à la grande famille des diptères, comme les autres mouches, les moucherons et les moustiques. Rassure-toi, je ne pique ni les humains ni les plantes quand elles sont vivantes. Je suis plutôt un recycleur de la matière organique. C’est pourquoi on dit de moi que je suis détritivore. Pour nous les mouches soldats noires, c’est un compliment, car nous mangeons des « détritus ».
Comment me reconnaître?
Le jour où on se croisera, attention de ne pas m’écraser, car je mesure seulement entre 1,5 et 2,0 centimètres de long. Ma tête, mon thorax et mon abdomen sont de couleur noire et mes ailes, qui ont une belle iridescence qui varie du bleu au mauve, sont sombres et légèrement transparentes. Leur couleur varie selon l’angle où tu les regardes. Ma tête porte 2 longues antennes et mes pattes sont noires avec des sections blanchâtres à jaune pâle.
Si tu as une loupe, tu pourras admirer mes yeux marbrés de vert et de bleu. Ils sont composés de milliers de facettes sensibles à la lumière. C’est ce qui me permet de m’échapper quand j’aperçois le moindre danger.
Et si je te racontais ma vie dans la nature!
Une des premières choses que je fais, c’est de m’hydrater. Pour cela, je fréquente les fleurs pour y trouver du nectar et au passage je les pollinise. Sinon, de l’eau me suffit. Bien hydratée, je pars à la recherche d’un mâle afin qu’il me féconde pour que nous puissions nous reproduire. À ce stade, du soleil et des températures comprises entre 25 et 32 °C nous sont bénéfiques. Au bout d’environ 5 à 7 jours, je ponds, selon les conditions, de 400 à plus de 1 000 œufs qui prendront environ une semaine pour éclore.
Pour m’assurer que mes petits puissent se nourrir dès leur naissance, je dépose mes œufs à la surface du sol ou dans des crevasses de matière organique, végétale ou animale, en biodégradation. Comme le compost en décomposition qui se trouve dans ta cour.
Après l’éclosion de mes œufs, ma progéniture va se nourrir, pendant 13 à 18 jours, de matière organique, cette bonne nourriture que je leur ai choisie. Tu dois savoir que les petites larves de mon espèce sont gloutonnes et au bout de ce temps, mes chères petites vont avoir multiplié leur poids entre 6 000 et 10 000 fois, mais pour cela, dans la nature, il leur faut des conditions de vie optimales.
D’abord la température. Chaud, mais pas trop. Entre 16 et 28 °C, avec un optimum à 26 °C. S’il fait trop chaud, mes larves ramperont vers un endroit plus frais au risque de ne plus trouver de nourriture à la recherche. S’il fait trop froid, elles mangeront et grandiront moins rapidement.
Ensuite la lumière. Mes larves préfèrent être à l’abri du soleil. Si celui-ci est trop présent, elles descendront dans le sol, parfois trop loin de leur nourriture.
Finalement de l’humidité. C’est dans la nourriture que mes larves trouvent l’eau. La présence d’eau dans leur environnement favorise leur bonne croissance. J’aime quand mes petites sont belles et en santé.
Après cette période, quand mes précieuses larves ont accumulé assez de réserves, elles se transforment en prénymphes. Elles changent de couleur, devenant brun foncé à gris anthracite. Elles convertissent aussi leur appareil buccal en crochet. Celui-ci leur sert pour se mouvoir et passer de leur environnement humide à un lieu sec et ombragé, un endroit idéal pour se métamorphoser en nymphes. Cette période dure environ 7 jours.
Puis, au cours des 2 à 3 semaines suivantes, les prénymphes deviennent des nymphes. Celles-ci arrêtent de bouger et commencent leur lente mue en mouche.
Bref, entre le moment où je sors de ma nymphe et le moment où mes petits se transformeront en nouveaux adultes, il se sera passé entre 45 et 60 jours.
Toutes les larves ne deviennent pas des adultes
Dans mon milieu naturel, sur les centaines et les centaines d’œufs que je ponds et qui se transforment en larves, seule une petite partie va atteindre le stade adulte. Certains œufs ne vont pas éclore, certaines de mes larves vont manquer de nourriture, d’autres vont être mangées par divers insectes ou elles vont contracter des maladies. C’est pourquoi je produis autant d’œufs.
Et moi pendant ce temps-là?
Eh bien, je suis morte depuis longtemps. En fait, après avoir pondu je meurs rapidement. Ma vie d’adulte n’aura été que de 5 à 8 jours, 12 dans le meilleur des cas. Toutefois, comme nous sommes des centaines de milliers, il y a toujours des adultes vivants quelque part dans la nature.
Ne sois pas triste, car même après ma mort je suis utile. Comme je ne suis finalement que de la matière organique, je me suis décomposée et j’ai servi de nourriture à des milliers d’autres organismes, gros ou petits, comme des bactéries ou des champignons. C’est notre lot à nous les insectes d’être constamment recyclés pour alimenter le magnifique cycle de la vie.
Un coup de main aux humains
Vous, les humains, avez observé que, tout comme pour les abeilles à miel, nous pourrions vous être utiles. Vous avez identifié les abeilles comme des pollinisateurs et de fantastiques producteurs de miel, que j’imagine tu adores, et vous avez remarqué que nous sommes d’excellents recycleurs. Vous nous avez donc donné vos restants de nourriture et nous avons été capables de les transformer en un fertilisant riche en vie. Nous sommes contents de vous aider à, comme vous dites, revaloriser cette nourriture gaspillée. Nous sommes pas mal fiers d’éviter qu’une partie de vos résidus prennent le chemin des dépotoirs, si problématiques pour notre environnement. Je suis bien fier de ma progéniture, car, c’est quand elle est sous forme de larves qu’elle revalorise vos déchets organiques. Je suis bien heureuse de cette collaboration. Vous nous fournissez des déchets alimentaires peu fibreux, comme des fruits trop mûrs ou des résidus de légumes et nous vous donnons un fertilisant qui vous permet de produire plus de plantes et donc de matière organique. Tout le monde est gagnant.
On dit de nous que nous sommes des recycleurs puisque par l’ingestion et la digestion de la matière organique, nous transformons cette nourriture en une matière remplie d’éléments nutritifs que d’autres organismes du sol rendront assimilables par les plantes. De plus, notre croissance nécessite aussi de muer quelques fois. Quand nous sommes des nymphes, après notre mue nous laissons autour de nous notre enveloppe, puis à d’autres stades des exosquelettes. Tout cela forme un riche composé naturel auquel les humains ont donné un nom : le frass.
Hé! On est des producteurs de frass!
Au début, le mot frass, qui vient de l’allemand, Fraß, signifiait : « nourriture prise par un animal ». Au milieu du 19e siècle, on désignait ainsi les excréments des larves d’insectes qui attaquaient le bois. Les insectes xylophages. Depuis quelques années, les humains désignent le frass comme un composé organique qui contient nos déjections, des restes alimentaires non consommés, nos mues et nos exosquelettes. Nous ne sommes pas les seuls à produire du frass, mais nous produisons sûrement un des meilleurs. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les humains qui l’affirment!
Il paraît que c’est un très bon fertilisant
Les humains ont analysé notre frass et ils y ont trouvé beaucoup d’éléments qui les intéressaient. Nous, on le savait déjà, parce que si nos larves utilisaient de la matière organique pour se nourrir, elles voulaient rendre celle-ci assimilable pour les plantes afin de s’assurer qu’elles auraient toujours de la nourriture à leur disposition. Si tu ne nourris pas le cycle de la vie, à plus ou moins long terme tu disparais. En fait, chez les mouches soldats noires, on est pas mal fières de ce que produisent nos larves :
- Les éléments nutritifs habituels : azote, 3,5 %; phosphate, 2,2 % et phosphore, 1,6 %;
- De la matière organique : 69 %;
- Du calcium : 1,19 %;
- Du magnésium : 0,95 %;
- De la chitine;
- Des peptides antimicrobiens.
Comment utiliser le frass?
Alors là, si nous, on sait l’utiliser en tant qu’insectes, pour ce qui est de l’utilisation par les humains aucune idée. Il va falloir que tu demandes à des humains. En fait, la production et l’utilisation du frass par vous, c’est une tout autre histoire.
